J’ai tellement attendu le mois de septembre. Parce que je n’aime plus trop l’été, comme je le disais dans l’infolettre précédente. Alors que septembre ! C’est un mois auquel j’ai toujours cru – même s’il n’était pas toujours synonyme de grandes joies. J’ai toujours aimé ce mois en ce qu’il permet d’espérer. De reprendre un peu l’espoir perdu en cours d’année. C’est d’ailleurs ce préfixe re–, ces premières lettres de « rentrée » que j’aime garder à l’esprit : septembre, c’est toujours la possibilité de reprendre, retrouver, recommencer, renouveler, réitérer, et peut-être surtout : rebondir. Et pourtant, ça n’a rien d’évident de rebondir. Cette période se pare de mille couleurs et de mille sensations, parfois contradictoires. Sarah Sauquet parlait magnifiquement de la temporalité de septembre (et son ambivalence) dans un article en ligne dont je vous glisse un passage :
Septembre, ce mois couleur d’ambre, comme le chante Barbara, est un mois plastique, tout sauf simple, qui a ses trous noirs et trous de ver. S’il ressemble à un train lancé à grande vitesse dans lequel il nous faudrait tous monter, il dessine des territoires et creuse des tranchées entre procrastinateurs et hommes pressés, anxieux et sereins, aidants épuisés et heureux du monde ambitieux. Septembre pousse les parents à couper les cordons et accompagner les enfants dans leurs premières fois. Il oblige collégiens et lycéens à renoncer aux grasses matinées et soirées à discuter pour opérer des arbitrages entre différents cycles : temps maniable de la négociation, temps déraisonnable du retard, temps investi dans le rêve, le sommeil, ou le scrollage sur le téléphone, temps des amours fondatrices, temps des tempêtes sous un crâne ou noyades dans un verre d’eau.1
En septembre, on peut reprendre les choses exactement là où on les avait laissées en juin, ou bien faire table rase, réinventer un milliard de possibles, se relancer, se ressaisir ; c’est ça qui m’intéresse dans la rentrée, même si je n’en fais plus depuis longtemps, septembre devient cet cet élargissement subit des perspectives. Tout (re)devient envisageable, ce qui ne veut pas dire qu’on fera tout – ni que tout va changer dans notre vie pour autant. D’ailleurs, souvent, ce n’est pas le cas. Il y a parfois du changement, du mouvement, des curseurs que l’on déplace, des projets que l’on fomente ou des résolutions que l’on grave sur la page encore fraîche d’un nouvel agenda. On les tiendra, ou on ne les tiendra pas. Au fond ça n’a pas d’importance, car cela aura simplement été possible, pendant quelques temps, pendant ces semaines de transition entre l’été qui ne veut pas s’enfuir et l’automne qui nous attend sur la pointe des pieds.
Pourtant, la période n’est pas exempte de sa propre nostalgie. Je parlais des souvenirs d’été, de l’enfance qui revient comme un boomerang, mais que dire de septembre et du flot de sensations confuses qui remontent à la surface ? Comment ne pas faire comme si les dizaines de rentrées scolaires n’avaient pas façonné nos imaginaires, marqué quelque chose de si profond dans nos corps, que pour toujours, septembre aura ce goût doux et amer de l’école qui doit bientôt reprendre? Septembre est arrivé et je revis tout, dans les bruissements qui me parviennent : les affiches collées sur les murs l’école, les frémissements du premier jour au petit-déjeuner, les nouvelles chaussures qu’il fallait acheter parce que les précédentes devenaient trop petites, et la photo, toujours la photo, la sempiternelle photo, obsession parentale, année après année, tradition à laquelle il fallait se plier, dans le jardin où mes sœurs et moi nous nous tenions un peu gauches dans nos tenues soigneusement choisies. Je repense toujours à ces photos, et je n’ai jamais vraiment su si je chérissais ou haïssais ce moment-là.
Mon fils ne rentre pas à l’école cette année. Et je me demande déjà ce que septembre prochain me fera, ce que ça me fera d’être de l’autre côté de la grille, du côté du parent qui agite la main et murmure à ce soir. Du côté du parent qui répétera les mêmes gestes, céréales du matin goûter dans le sac, larmichette à l'œil et sac à dos hippopotame sur l’épaule. Est-ce que je ferai la photo, bien sûr oui, mais est-ce que j’attraperai ensuite l’obsession de la photo de rentrée, manie têtue pour tirer par la queue le temps qui passe ? J’aimerais penser que ça ne me fera rien, ni chaud ni froid, que je hausserai les épaules en disant c’est la vie ! et c’est bien comme ça, mais évidemment, c’est peu probable, et il est encore trop tôt pour le dire.
Cette année, donc, j’ai envie de rebondir, de repartir, de réécrire. Je cherche plus ou moins activement du travail, je lis des choses sur l’écriture et la créativité, je prépare avec beaucoup de cœur mes ateliers d’écriture et mes accompagnements, qui dureront toute l’année scolaire2. Je garde, de fait, ce rythme du scolaire imprégné sous ma peau, rythme de travail, rythme de d’écriture : je sens l’impulsion renaître après les grandes sécheresses d’août et de juillet. Quelque part, j’ai toujours fonctionné comme ça. Il y a quelque chose de la renaissance que j’ai du mal à saisir.
Mais renaître tous les ans, comme un second printemps, est un bien vaste projet. Et finalement, les rentrées se suivent mais ne se ressemblent pas. En ce premier lundi de septembre, il n’y a pas eu de renouveau, de rebond, d’éclat, de grande nouveauté. J’ai d’abord nettoyé mon appartement en sachant qu’il serait sans dessus dessous à la fin de la journée. Puis je me suis rendue à l’hôpital dans la matinée, pour rendre visite à ma grand-mère en fin de vie. J’ai posé ma main sur sa tête fragile et j’ai caressé tout doucement ses cheveux, parce qu’il n’y avait plus que ça à faire. L’après-midi, je suis allée à la papeterie pour faire mes courses de rentrée, sous une pulsion un peu inexpliquée, comme si j’avais tout à coup le besoin absolu d’une nouvelle gomme et de crayons à papier. Comme si l’odeur du bâton de colle et des cahiers pouvait quelque chose contre le temps qui s’érode, contre la mort qui guette, comme si ces petites choses toutes neuves étaient la preuve concrète que la vie reprend, rejaillit, tout le temps. Que la vie continue. Je crois que je me suis sentie un peu bête de penser ça. Pourtant, j’ai serré mon petit sac de choses neuves sur le trajet du retour, prête à reprendre ma propre vie, à la continuer, parce que c’est bien ce qu’il faut faire quand les épreuves de la vie nous traversent. Du moins, essayer.
À 17h, j’ai récupéré mon bébé qui se fiche encore pas mal de la rentrée, et nous sommes allés jouer au parc, en mangeant du raisin et en buvant du yop. Je ne sais pas ce que je pourrais dire de plus sur ce lundi de rentrée, ni pourquoi j’écris ça, si ce n’est peut-être pour parler du yop et du plaisir étrange que j’ai à en donner à mon fils, parce que je n’avais pas le droit d’en boire enfant, trop chimique, trop sucré, et je me demande si c’est si grave de lui donner ça de temps en temps, est-ce que ça compte par rapport à sa joie et à la mienne, je ne sais pas. Peut-être que c’est pour parler du raisin, autre raison d’aimer le mois de septembre, depuis que mon enfant, découvrant ce fruit pour la première fois, en réclame matin midi et soir. Peut-être que c’est pour dire qu’il m’aide aussi, sans qu’il le soupçonne, à avancer. À traverser septembre comme j’ai traversé l’été, à chercher autant que possible la volonté de rebondir. Car la vie, bien sûr, quelle banalité, ne n’arrête jamais, ni les doutes, ni la peur, ni les pertes. L’enfant me pousse à regarder devant, à balayer la nostalgie d’un revers tendre de la main quand je sens qu’elle m’attrape au col comme pour me retenir.
Ce mois de septembre est comme toujours un mois de transitions, mais pas forcément celles que j’avais prévu. Au fond peut-être que nous ne faisons que naviguer de transitions en transitions, et que le calendrier officiel, vacances, rentrées, noël, n’est là que pour nous donner l’impression vague d’une continuité. Il est vain d’attendre des choses merveilleuses de septembre, de croire que tout va enfin changer, mais on peut encore y laisser pousser des germes, un peu d’espoir, même si ce n’est pas grand-chose. On peut peut-être cueillir la joie présente, la cueillir partout, même dans la file d’attente du supermarché où l’on retourne pour la troisième fois parce qu’on a oublié le lait, même devant son ordinateur à ne rien comprendre à sa déclaration à l’ursaff, même au moment de dire adieu à une personne aimée.
Cette semaine a été ce temps étrange, qui est joli paraît-il, pour dire au revoir. Ensuite, j’ai rangé mes fourniture de rentrée, fait place nette sur le bureau, et coupé des pommes pour que mon bébé fasse son tout premier gâteau.
Voilà donc, septembre a commencé, et il faut continuer d’y croire.
Que faire d’autre en cette période de l’année ?
Je pose encore beaucoup de questions, dans cette lettre un peu décousue, moi qui ne voulais parler de rentrée scolaire, je crois que c’est raté.
Je vous souhaite, dans tous les cas, de traverser avec joie les grands soleils de septembre, même les plus noirs.
Émilie
Sarah Sauquet, « Les mille temps du mois de septembre »
Les ateliers d’automne reprennent le mardi 12 septembre.
Ohlalala Émilie ! J'aime tout, l'odeur de septembre, les possibles et les contours que tu lui donnes. Tu y mêles avec soin le questionnement et le fait. Il y a des choses qui viennent et avec lesquelles il faut composer et celles que l'on peut espérer. Les 1eres fois et les répétitives, j'adore. Je relirai pour en faire quelque chose à moi. Merci 💛
Merci ma belle Emilie de nous faire réfléchir sur ce renouveau de Septembre. On ressent tous et toutes des sentiments différents mais j’ai aimé m’imprégner de ton ressenti pour disséquer le mien aussi … plein de pensées douces, pour prendre soin de toi aussi dans ce RE nouveau ♥️