J’ai toujours aimé le mois de décembre. Avant de me mettre à écrire ces mots, je me suis rendue compte que c’était déjà de cette manière dont j’avais commencé l’infolettre de décembre 2022. C’est ce que m’inspire à chaque fois cette période, une sorte de vœu d’amour au mois de décembre, que je dois renouveler chaque année. C’est le mois de mon anniversaire, période doublement festive depuis l’enfance, le mois où tout est permis, avant la débauche des fêtes. Je parle d’amour, mais c’est aussi une période pleine d’ambivalence ; et c’est bien ce que je décrivais il y a un an, le sentiment de ne pas parvenir à me positionner complètement, l’incapacité à me laisser prendre au jeu, à la fête, à la joie.
Or, cette année, je sens une évolution. Lente, mais bien présente. Ce qui est sûr, c’est que je suis toujours irrésistiblement attirée par certains aspects de la fête. Ça commence toujours par un enthousiasme débordant, une envie de refaire le monde, comme si décembre allait me délivrer de l’automne et de ses tristesses mornes. Dès le premier décembre, j’ai envie de sauter partout, de m’habiller en blanc, en rouge et en vert, j’ai envie d’arborer des chaussettes à motifs de sapins et de ressortir les sempiternels emporte-pièces en forme d’étoiles et de bonhommes de neige.
Et ça me procure une très grande joie.
J’avais envie d’écrire quelques mots là-dessus parce que cette année, j’ai décidé de me laisser tranquille avec Noël. Parce qu’avant, je ne m’autorisais tout simplement pas ce sentiment de joie pure qui m’attrape en décembre. Je le contenais, le réprimais, croyant que mon enfantillage était une façon de céder aux sirènes du Noël capitaliste, que mon attirance pour la déferlante de couleurs et de lumières était un caprice d’enfant gâtée, superficielle, un peu stupide. Mais au fil des ans, je réalise que c’est ce cynisme de façade qui est sûrement un peu stupide. Dans le sens où il est un peu stupide d’auto-juger mes propres goûts – comme celui des autres d’ailleurs (car on a tout autant le droit aimer Noël jusque dans ses moindres détails, que d’en détester chaque manifestation, sans devoir se sentir jugé·e par qui que ce soit).
Sans surprise, la maternité a, cette année précisément, débloqué quelque chose, non pas vis-à-vis de Noël directement, mais vis-à-vis de cette joie. C’est le premier vrai Noël de l’enfant, le premier dont il a conscience, lui-même m’ayant annoncé aux alentours du 2 novembre, sans que je n’ai jamais mentionné la chose en question, que c’était « bientôt Nowel ». La machine était enclenchée. Et contrairement aux années précédentes, j’ai retrouvé la joie.
Bien sûr, un enfant peut-être une excuse parfaite pour enfiler des pyjamas à motifs de pingouins ou de flocons, pour se gaver de papillotes, pour faire des détours tous les soirs par la place principale pour voir les lumières de Noël. Mais au-delà d’une excuse, j’ai finalement eu un déclic. Je ne voulais plus me sentir gênée d’aimer, avec la même naïveté que mon propre enfant de deux ans et demi, tout ce décorum. Alors maintenant, oui, je dis que je guette l’apparition des clémentines sur les étals, celles des cabanes à gaufres et de la grande roue, je dis que je développe une obsession inouïe pour le pain d’épices, je dis que je souris (vraiment) béatement en me promenant dans la vieille ville pour regarder des lumières et des guirlandes suspendues.
C’est un peu comme ça, d’ailleurs, que je considère ces quelques jours d’effervescence en décembre : un temps suspendu, dont l’éphémère me grise, parce que je sais qu’il va disparaître presque aussitôt qu’il est apparu. Si décembre est une fête, le soufflet retombe toujours à l’approche de Noël, et, aux alentours du 22 décembre, quelque chose a déjà déjà disparu, laissant planer sur les derniers jours de l’année un vent aigre de mélancolie. Je ne crains pas les fêtes pour autant, j’ai la chance que ça ne soit pas des moments (trop) désagréables, mais je sens toujours que l’enthousiasme du début me fait faux bond. Quelque chose est parti, est mort, un morceau de magie qui échappe, car Noël, c’est aussi les souvenirs qui remontent, une nouvelle chaise vide, des tensions cachées sous le tapis ou éclatant au milieu de la table, c’est piquant ou aigre-doux, on ne sait jamais, et le temps de comprendre ce qu’il se passe, il faut à nouveau ranger la maison, le sapin et les décorations. Tout reprendre comme si de rien n’était – et souvent, sans être suffisamment reposé·e.
Il n’est pas impossible que, chaque année, j’ai des attentes démesurées autour de Noël, de ce que devrait être cette fête, attentes toujours un peu déçues. Soit parce qu’on espère que quelque chose va se passer (ou tout simplement, que tout va bien se passer, ce qui n’est pas toujours le cas), soit parce que, tout heureux·ses que nous sommes au début du mois de décembre, impatient·es de faire telle ou telle chose, nous nous retrouvons le 24 décembre pressé·es, oppressé·es, dans une course effrénée avec ce simple constat : le mois est passé trop vite, on n’a pas eu le temps de faire tout ce que l’on projetait.
Voilà, c’est ça : je crois que je projette beaucoup de choses. Cette année par exemple, j’avais imaginé créer des petites décorations avec mon enfant, offrir des boîtes de petits gâteaux, lire des légendes de Noël le soir, sortir le ukulélé végétant dans la poussière de son étui depuis que je suis mère. Évidemment, je n’ai fait aucune de ces choses. Je n’ai pas le temps (ou je ne le prends pas, je réfléchis à cette nuance aussi).
Et cette année, je décide que ce n’est pas grave. Je décide que même si le mois passe vite, je n’ai pas tout gâché. Je décide que même si mes projections s’émiettent au fil des jours, je n’ai pas échoué décembre. Je décide du contrainte.
Je décide aussi, prenant conscience de ça, que je peux peut-être, malgré tout, prendre (arracher?) le temps de faire au moins une des choses prévues sur ma petite liste, d’y porter mon attention et mes efforts, et de me féliciter pour ça. Je décide de laisser tomber les gâteaux, les cartes de vœux maison et les chansons, je décide de faire cette petite activité manuelle avec mon fils. Et bien que je projette encore que ce moment soit un instant de parfaite osmose mère-fils digne d’un téléfilm de Noël, je décide d’abord que ça ne sera sûrement pas le cas, et que le moment ne sera pas absolument parfait. Je décide de me dire tant pis, si ça prend plus de temps que prévu, tant pis s’il se met à pleurer au milieu de l’activité ou qu’il s’en fout, tant pis si on en met partout, tant pis si c’est moche ou raté.
Je décide d’accepter ces ratés, ces imprévus, et d’accueillir la mélancolie à bras ouverts, comme j’accueille à nouveau la joie. Parce que je veux la garder, la joie, à une époque où cela semble si compliqué, à des moments où l’on pourrait avoir envie de baisser les bras. Et pour la conserver, il faut en accepter le revers, les failles, les âpretés.
Garder la joie, l’attiser comme un petit feu dans le ventre, ce n’est pas superficiel, ce n’est pas être insouciant. La joie vit et ne peut que vivre au milieu du reste, du moche, de l’injuste, du terrifiant. C’est ce qui la rend possible, et cette co-existence peut être aussi douloureuse. Ce motif de la joie malgré tout, malgré le monde qui nous entoure, d’une joie qui accepte la douleur et ne ferme pas les yeux sur le reste, on le retrouve beaucoup en poésie, et notamment dans l’œuvre de Louise Dupré, dont je vous laisse un petit extrait ci-dessous :
tu cherches depuis peu
à pratiquer
la douceur
comme une discipline
de combat
une charité à te faire
à toi-même
toi, la mendiante
de minuscules bonheurs
arrachés à la détresse
tu dis bonheurs
car tu ignores
comment nommer
les instants où ton cœur
cesse de cogner
contre tes côtes
ces instants de grâce
où une carapace te protège
des cris
que tu entends
c’est tout près
c’est partout
et chaque jourLouise Dupré, Exercices de joie
Quand j’ai saisi cette contradiction que l’on ne pourra jamais dépasser, j’ai compris qu’on avait le droit de se sentir bien, de se sentir mal, comme de se sentir à la fois bien et mal. Le droit d’aimer ou pas les fêtes, d’éprouver des joies simples qui ne nous rendent pas égoïstes pour autant. Je me suis sentie un peu plus légère – pas complètement soulagée, c’est justement tout le propos.
Alors voilà, il y aurait plein de choses à souhaiter pour conclure cette lettre, des choses plus ou moins convenues, mais je vous souhaite avant tout ces instants de grâce, ces quelques secondes de lumière où parmi les cris, on peut encore attiser la joie.
Émilie
Merci pour cette jolie lettre, en parlant de toi tu parles un peu des autres. Moi aussi "Je décide que même si mes projections s’émiettent au fil des jours, je n’ai pas échoué décembre" et je vais pouvoir me plonger dans l'oeuvre de Louise Dupré, que je ne connais pas.
Merci d'avoir fait tintinabuller ces petites bulles de joie dans mes yeux ce matin. 🥰