Dans la dernière infolettre, je parlais de mon rapport à la confiance en soi. De comment j’essaye de lâcher prise avec cette idée, qui devient parfois une injonction : avoir confiance en soi. Me délester de cette injonction, et accepter les choses comme elles sont (et accepter certaines de mes failles), m’aide plutôt pas mal au quotidien, et dans mon écriture aussi. Mais ça serait trop facile que de dire, allez, pas besoin d’avoir confiance pour entreprendre quoi que ce soit, et notamment pour écrire. Ce n’est pas tout à fait vrai : j’ai besoin de me sentir en confiance quand j’écris, mais aussi en dehors du geste même d’écriture, car c’est souvent là que les doutes commencent à me sauter à la gorge.
Il y a quelques années, j’ai décidé d’écrire « sérieusement » (notion intéressante parce que depuis, j’ai renouvelé plusieurs fois cette promesse à moi-même en allant chaque fois un cran plus loin dans ce que j’appelais sérieusement), et j’ai donc commencé à réfléchir à cette question de la confiance. Comment soulager la peur d’écrire ? Et, peut-être plus généralement, la peur de faire ? Comment se sentir légitime à faire quoi que ce soit, quand on part avec un niveau de confiance en soi proche de moins l’infini ? Je sais aujourd’hui que la solution la plus efficace consiste…à faire. À accomplir cette chose qui nous fait tant peur. C’est d’une banalité ahurissante. Il faut se jeter à l’eau, se lancer, la peur n’évite pas le danger, etc, etc. Qu’il s’agisse d’écrire, de peindre, de changer de travail, de lancer n’importe type de projet. Le problème, c’est que cette solution est inaudible pour quelqu’un qui manque vraiment d’assurance, qui, par sa trajectoire personnelle et/ou son tempérament, ne peut pas « simplement » s’y mettre, comme ça.
Au moment donc où j’ai décidé d’écrire sérieusement, rien n’a été facile, malgré le caractère radical qu’avait cette décision (dans ma tête, tout du moins). Il n’a pas suffit de prendre la décision, de s’y mettre. Non. Je n’y arrivais pas du tout. J’étais incapable, paralysée, impuissante. Je sortais d’une période de vie très difficile où je n’avais pas écrit une seule ligne en dehors des devoirs académiques de l’université. Je ne savais même pas à quand remontaient les derniers mots que j’avais tapés dans un contexte autre. Des mots juste pour moi. C’était très loin. J’étais asséchée, vidée, et ces années houleuses avaient éliminé le peu de confiance que je pouvais avoir en mes propres capacités créatives.
Et puis je suis tombée sur un livre. Ce livre, c’était Comme par magie, d’Elizabeth Gilbert. Un livre à propos de créativité. Et une lueur dans mon brouillard.
Je me méfie un peu, aujourd’hui, de tout ce (et ceux) qui tend(ent) à nous donner des conseils divers et variés pour booster notre créativité. Ce verbe booster m’horripile, je ne peux pas m’empêcher de l’associer à l’idée de performance, à l’idée que nous devons toujours faire mieux, faire plus, développer à fond nos compétences, les déployer et capitaliser là dessus. Peut-être aussi parce qu’aujourd’hui on retrouve ces éléments de langage dans le monde de l’entreprise, où efficacité et performance sont des notions essentielles.
Booster me donne aussi aussi l’impression qu’il faudrait forcer les choses, à coup d’exercices ciblés qui marchent à coup sûr. Et si je n’ai aucun doute sur le fait que la créativité est une chose qui a le pouvoir magnifique de pousser, de croître, de s’enrichir, et qu’on peut aller dans son sens, je ne sais pas toujours quoi penser des conseils et exercices à son sujet. Nous n’avons pas toustes le même cerveau, le même fonctionnement. Certains conseils peuvent fonctionner pour nous, d’autres pas, c’est comme ça, et c’est normal.
Par exemple, parmi les « astuces » qu’on retrouve fréquemment dans les livres ou articles consacrés au sujet, on trouve des choses comme « avoir toujours un carnet sur soi », « observer les gens dans la rue » ou encore « pratiquer le journaling » (écrire tous les jours ce qu’il nous passe par la tête de manière automatique). Je sais que dans mon cas personnel, ces trois conseils n’ont jamais, jamais fonctionné. J’ai eu beau m’assoir dans des cafés pour regarder les gens qui passent ou pratiquer le journaling pendant environ deux ans, je n’ai constaté aucune amélioration quant à ma créativité. Ces conseils étaient vides de sens pour moi, déconnectés de ma façon de penser et d’appréhender le monde (mais j’ai mis du temps à m’en rendre compte). Ils étaient peut-être aussi, en un sens, incomplets.
La créativité m’apparaît comme une chose plus chaotique, plus complexe et mouvante. Elle évolue au fil du temps et chacun à la sienne propre. Ce n’est pas qu’une compétence à développer pour en tirer profit. D’ailleurs, quel verbe autre que booster pour parler de créativité ? Pourquoi ne pas parler d’accueillir, d’apprivoiser, de penser sa créativité ? De la soigner ? Ou, comme le propose le sous-titre de Comme par magie, de vivre cette créativité ?
Pour en revenir au livre d’Elizabeth Gilbert, sa lecture a marqué un moment important dans ma vie créative. Je l’ai découvert avoir lu Mange, prie, aime. Plus que le récit de voyage et de transformation intérieure dont il était question (un sujet qui ne me touche pas plus que ça), j’avais apprécié la manière dont l’autrice racontait sa vie et ses expériences personnelles d’une manière à la fois simple, intéressante et conviviale. J’étais donc curieuse de lire autre chose. La couverture aux couleurs chatoyantes et ce mot de magie m’ont plu également. Je n’étais pas à la recherche de conseils techniques et d’exercices alors ma foi, pourquoi ne pas gratter un peu de magie dans l’histoire ?
Dans son livre, Elizabeth Gilbert ne délivre aucun véritable conseil, aucune technique particulière, aucun truc. Comme à son habitude, dans ses livres de non-fiction, l’autrice explore un thème à travers son expérience propre, expérience qui devient l’occasion (ou le prétexte?) de traiter à fond d’un sujet (comme, par exemple, dans Mes alliances, à propos du mariage). Dans Comme par Magie, Elizabeth Gilbert s’adresse à nous, qui pataugeons dans l’envie de faire des choses, sans trouver forcément le temps, la force ou le courage de le faire. Elle nous raconte son propre rapport à la créativité, et émaille son récit d’anecdotes personnelles et d’idées un peu farfelues. Si l’on cherche une réflexion rationnelle sur la créativité, on pourra passer son chemin, car sa pensée sur la créativité peut parfois prendre des allures un peu mystiques. C’est quelque chose que j’aime beaucoup chez elle : elle dit franchement ce qu’elle pense, mais ne nous oblige pas à voir les choses comme elle. Sa propre pensée est mouvante.
Au bout du compte, son approche a quelque chose de très terre-à-terre, et je n’ai jamais lu quelque chose qui m’a autant touchée sur l’écriture. Peut-être parce qu’elle est sincère. Peut-être parce qu’elle ne cherche pas à nous transmettre telle une vieille sage le fruit de sa longue expérience d’artiste (sentiment que j’ai parfois eu en lisant des ouvrages sur l’écriture écrits par des écrivains hommes). Elle ne cherche pas à nous faire la leçon, ni à nous transformer. Elle suggère juste que c’est possible, si c’est ce que nous voulons. Le reste, c’est à nous de le décider.
C’est un livre qui nous met face à nos propres questionnements, à nos propres peurs. Un livre qui donne simplement la permission, qui donne le droit. Et qui secoue (dans le sens, qui remet les idées en place, ou qui donne un bon coup de pied au derrière), sans promettre quoi que ce soit.
C’est aussi un livre qui, et c’est important de le souligner, ne relie pas automatiquement la créativité à l’art et au travail. L’autrice nous parle avant tout d’existence créative, qui peut bien sûr passer par une pratique artistique, mais pas forcément. On peut vivre une vie créative de plein de manières, quel que soit notre travail, nos goûts, nos aspirations. Et je trouve que ça fait beaucoup de bien que d’appréhender les choses comme ça. Que notre créativité ne se mesurera pas au fait de réussir à passer 15mn par jour à écrire ce qui nous passe par la tête ou a se mettre à la broderie (même si la broderie, c’est très chouette).
Il serait trop long de résumer Comme par Magie, et le but de cette infolettre n’est pas d’en faire une chronique complète. Mais j’avais envie d’en parler car c’est un livre qui, en plus de marquer un jalon clé dans mon approche de l’écriture, m’accompagne encore aujourd’hui, et que je relis très souvent. Parce qu’il a contribué à me donner confiance en cette créativité dont on fait grand cas sans réussir toujours à l’approcher. Parce que je suis moi aussi persuadée qu’on peut vivre une vie créative, peu importe ce qu’on met derrière le mot de créativité. Prendre du plaisir à faire des cookies avec son enfant, en se demandant à chaque fois quelle garniture on va tester, c’est une forme de créativité. Inventer des histoires ou des chansons pour son plaisir personnel – sans chercher forcément à en faire quelque chose, c’est une forme de créativité. Se dégager du temps pour pratiquer un sport qu’on adore ou faire de longues promenades qui n’ont aucun but, c’est une forme de créativité. Vivre une existence créative, c’est peut-être tout simplement prendre le temps de faire des choses qu’on aime, qui nous plaisent, qui nous intéressent, et de nous investir dans ces pratiques comme on l’entend. Et surtout, comme on peut ! (parce que le temps, évidemment, est une denrée précieuse…). Ce qui est déjà un luxe en soi.
Aujourd’hui je me sens un peu plus en confiance dans mon écriture, mais c’est un processus qui prend des années, et ce n’est pas cette seule lecture qui a permis de me débloquer. Je n’a pas brusquement pris confiance…Car il n’y a pas de solution ni de livre miracle.
Comme par Magie a été pour moi un premier pas. Mais il a fallu continuer à marcher, beaucoup, longtemps. Et finalement, ce processus ne s’arrête jamais. Alors régulièrement, je ressors ce livre qui me met du baume au cœur, qui m’enlève de la pression, qui me redonne un peu confiance. Peut-être que c’est avant tout de cela dont nous avons besoin, pour prendre soin de notre créativité (comme de plein d’autre choses) : des livres qui deviennent peu à peu des compagnons.
Pour terminer sur le sujet, j’aimerais partager deux ressources qui éclairent régulièrement mon rapport à la créativité : la première, c’est la newsletter de Nathalie Sejean, dont j’apprécie beaucoup le vocabulaire autour de la créativité (elle parle régulièrement de croissance, de circulation, de connexion et de cette idée du « faire »). Là aussi, c’est une vision qui, je trouve, donne le droit, de s’y mettre, de créer, de faire, si on en a envie, qui nous dit, c’est possible, et qui creuse sans cesse la question de la créativité sans s’arrêter à des réponses toutes faites.
La seconde ressource, c’est mon podcast favori du moment : Exprime, de Joséphine Bonnardot, qui interroge des artistes et des créatifs sur leur trajectoire et leur processus. Parfois, il n’y a rien de mieux que d’écouter d’autres personnes en parler, raconter leurs parcours et la pluralité de leurs visions, de leurs approches. Après chaque épisode je me sens toujours très inspirée et ça, c’est une grande joie. Je vous le recommande donc mille fois.
Alors maintenant, pour finir véritablement, je ne peux que vous souhaiter de trouver ces compagnons de route, ces personnes, ces livres, ces mots qui vous diront, mais bien sûr, tu peux le faire – et d’accepter peut-être aussi cette éternelle part de magie.
Émilie
Merci Émilie pour cette lettre ; j'avais adoré Comme par magie aussi, qui avait rendu l'écriture plus légère et pétillante. Je l'évoque régulièrement en ateliers et en accompagnement. Et côté ressources à partager, je dois dire que je parle aussi souvent de La page sensible et de Journal de la création (https://ameliecharcosset.com/podcasts-ecriture/), que je trouve précieux aussi ! J'adore la newsletter de Nathalie Sejean et je vais de ce pas découvrir Exprime. Bref, merci pour la reco, donc !
J'aime beaucoup le travail de Nathalie Sejean ! Et je note le podcast dont tu parles ! Merci pour ce partage sur un thème qui me parle, un plaisir de te lire 😊 dans ma dernière lettre poétique je parle du livre Pour une insurrection des sens, qui est aussi très beau à propos de créativité et sensibilité.