Ce week-end, j’ai assisté à mon deuxième évènement officiel en tant qu’« autrice », au Poetik Bazar à Bruxelles. Jusqu’au dernier moment, je nourrissais quelques doutes sur l’intérêt d’assister à cet évènement, car j’avais un peu peur de ne pas me sentir vraiment à l’aise, à ma place ; j’avais tout bêtement peur d’être un peu perdue au milieu de ce microcosme littéraire que je découvre depuis quelques semaines à peine. Ma première expérience au Marché de la Poésie de Paris avait été plutôt positive et très riche, et si j’en garde un très bon souvenir, je me rappelle encore très bien avoir ressenti à plusieurs reprises un sentiment d’illégitimité, et m’être sentie mal à l’aise dans certaines situations. Mal à l’aise face à des poétesses dont j’admirais le travail, ou encore face à des jeunes auteurs et autrices de mon âge qui semblaient tellement sûrs d’eux. Cette impression d’être perdue, pas à ma place, où de paraître bête m’arrive en fait très souvent, quel que soit le contexte de sociabilité dans lequel je me trouve. J’ai souvent peur de ne pas être au bon endroit, peur qu’on se demande ce que je fiche là, peur de ne pas être intéressante, peur qu’on se fasse une mauvaise image de moi, peur qu’on me trouve bizarre, trop timide, trop ceci, pas assez cela. Même lorsque j’arrive à franchir la barrière de ma réserve naturelle et à donner le change, quand je suis engagée par exemple dans une conversation avec quelqu’un que je ne connais pas ou peu, mon cerveau continue de turbiner et de paniquer en me chuchotant, arrête, tu dis n’importe quoi, tais-toi ! tu vas passer pour une gourde. En l’écrivant, je me rends compte que ça fait quand même un sacré paquet de peurs. Au Marché de la poésie de Paris, j’ai rencontré d’autres jeunes poètes et poétesses qui avaient l’air extrêmement à l’aise pour parler avec tout la monde ou « performer » leurs textes, et je me suis surprise à les envier, d’une certaine façon. Je me suis dit, ah ! si seulement j’avais un peu plus confiance en moi.
Au Poetik Bazar, finalement, je ne me suis pas sentie mal à l’aise. Au contraire, je me sentais même plutôt bien, assise au stand de ma maison d’édition, à discuter avec les uns ou les autres ou à me balader dans le marché. Sans me forcer. À aucun moment mon cœur ne s’est emballé quand quelqu’un prenait mon livre et me le tendait pour que lui fasse une dédicace et qu’il fallait rapidement trouver quelque chose à écrire, ou encore quand on m’alpaguait pour lancer une discussion inattendue. Je ne me suis pas sentie bête même dans les moments de creux où il y avait peu de passage, ou quand on me demandait c’est quoi ton dernier coup de cœur? (question qui d’ordinaire me panique immédiatement). Je ne me suis pas sentie non plus illégitime quand on me faisait des compliments sur mon écriture ou quand on me demandait ce sur quoi je travaillais en ce moment. Je n’étais pas du tout enorgueillie, j’étais juste bien, neutre, sereine. Mais le constater a été une sorte de surprise. La question que je suis posée a posteriori, c’est : que s’est-il donc passé pour qu’à ce moment-là, je ne sois plus dévorée par mes peurs habituelles ? Pour que subitement je me sente relativement à l’aise ? Aurais-je eu une poussée de confiance durant l’été ? Certainement pas, d’autant que dans ma vie de tous les jours, on ne peut pas dire que je transpire actuellement la confiance en moi.
Je réfléchissais déjà beaucoup à cette notion depuis quelques mois, et ça me donne envie d’explorer un peu plus cette idée.
Je passerai rapidement sur le couplet « je n’ai jamais eu confiance en moi », bien que ce soit la stricte vérité. Ni sur les raisons du pourquoi du comment je n’ai pas confiance en moi, ce serait un vrai sac de nœuds à défaire. Je ne sais pas à quel moment je me suis moi-même définie et perçue ainsi, comme une fille qui manquait de confiance en elle. Cela date probablement du collège, période ingrate par excellence - car dans mes lointains souvenirs il me semble qu’enfant, je ne rencontrais pas trop cette problématique. J’ai longtemps pensé que ce manque de confiance m’avait bloquée dans plein de situations en empêchée de faire plein de choses dans mon adolescence et ma vie de jeune adulte (et d’une certaine manière c’est forcément le cas). J’avais peur de tout, et donc je ne faisais globalement rien ; zéro prise de risque. Sortir le soir ou parler avec des inconnus m’aurait paralysée. Je n’étais pas fondamentalement malheureuse de ça (du moins, pas pour cette raison), mais quelque part, je culpabilisais en me pensant anormale. Je croyais que mon manque de confiance m’empêchait de mener la vie normale d’une jeune fille de vingt ans, alors qu’au fond, c’était peut-être simplement ma personnalité, et ma manière d’être, et que c’était ok d’être comme ça. Dans ma vingtaine, j’ai tenté de lire des livres et d’écouter des podcasts de développement personnel, qui me promettaient merveilles, confiance absolue et ouverture d’esprit. Mais ce n’étaient que des mots, des paroles en l’air ponctuées d’exercices vagues qui me semblaient complètement détachés de la réalité, en tout cas de la mienne. Avais-je envie, à coup d’exercices, de travailler ma confiance en moi ? Non. Je crois que je cherchais tout simplement à l’éprouver. La ressentir, au moins de temps en temps. Mais ça ne venait pas, et approchant les trente ans, je me sentais toujours aussi timide, illégitime dans la moindre entreprise, paniquée dès qu’il fallait que je parle de moi ou de mon travail (combien de fois ai-je inventé des choses ou occulté le fait que j’écrivais?). Et bien entendu, je me sentais très nulle face au reste du monde. Je lisais et j’entendais arrêtez de vous comparer, mais en fait, comment peut-on ne jamais, ô grand jamais, se comparer parfois aux autres? Est-ce que c’est possible, sincèrement, en tant qu’être humain ? Je sais aujourd’hui à quel point la comparaison peut effectivement être délétère, mais asséner cette phrase ne nous conduit pas très loin. Longtemps donc, j’ai eu l’impression d’échouer perpétuellement dans le projet « développer sa confiance en soi », qui aurait dû m’ouvrir les portes du bonheur et du succès. Avoir confiance, un objectif flou, tellement désirable. Et je me suis accrochée à ça, je pense, à cette idée qu’il fallait absolument que j’ai davantage confiance en moi.
Que s’est-il donc passé, cet été (ou cette année d’une manière plus générale) ?
Je crois que c’est très simple. J’ai juste laissé tomber.
J’ai arrêté de vouloir avoir confiance en moi.
Et c’est vraisemblablement à partir de là que les choses ont commencé doucement à bouger.
J’ai arrêté de chercher à avoir confiance, et de me définir comme cette fille timide qui n’est jamais à sa place. Tout simplement parce que ça me faisait du mal, de constater que je n’étais pas et ne serai probablement jamais cette personne respirant la confiance, pleine d’assurance et ne doutant jamais. Que je ne serai peut-être jamais, par exemple, confiante comme ces poétesses qui performent brillamment leurs textes sur des scènes, confiante comme ces entrepreneuses qui démarchent et réseautent partout pour se faire connaître. Ça n’est pas moi, point barre, trop tard, peut-être un jour. Et maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire de ça ? Et si j’essayais, pour changer, d’accepter les choses telles qu’elles sont ?
Cet été j’ai lu le journal d’écriture de Steinbeck, Jours de travail, rédigé pendant l’écriture des Raisins de la colère. Et j’y ai lu ça, au tout début du livre :
C’est tellement difficile de connaître quoi que ce soit. Tellement impossible d’avoir confiance en soi. Et même de savoir en quoi avoir confiance.
John Steinbeck, Jours de travail
Ce passage est arrivé à un moment où ma réflexion sur le sujet était mûr. Lire ces quelques mots a été une révélation incroyable. J’ai pensé, mais oui, c’est exactement ça. C’est trop difficile. Et même quelqu’un comme Steinbeck le dit. En lisant une phrase écrite dans un moment de doutes (l’auteur redoutait de se mettre au travail et de ne pas parvenir à écrire son roman), j’ai décidé de considérer qu’il était effectivement impossible d’avoir confiance en soi.
Et voilà, fin des problèmes, fin de l’histoire.
Je me suis sentie libérée. Comme c’était de toute façon impossible, je n’avais plus besoin d’avoir confiance en moi ! Ni dans l’écriture, ni nulle part ! Ça m’a enlevé un poids énorme, dont je ne soupçonnais même pas la puissance. Et que j’ai analysé après coup seulement. J’étais libérée de ce qui était finalement une forme d’injonction supplémentaire (aie confiance, crois en toi!). J’étais libre, et peut-être même que ça ne m’empêcherai pas de faire des choses, ni d’être quelqu’un de bien. Soyons fous, pet-être même de réussir deux ou trois trucs. Même si je n’ai pas super confiance en moi.
Voilà. Se tenir loin de la quête du Graal de la confiance, qu’est-ce que ça fait du bien, de ne pas se sentir obligée d’être différente, davantage ceci ou un peu plus cela. Alors tant pis si je reste effacée, tant pis si je ne me vends pas, tant pis si je ne parle pas ou ne soutiens pas longtemps une conversation, tant pis si je n’ai pas l’air toujours très à l’aise. Pour revenir à ce que je disais au début de cette lettre, débarrassée de ces peurs-là, j’ai réalisé que la question d’être à sa place ou non n’était plus si importante dans certains contextes. Au Marché de la Poésie de Bruxelles, j’étais juste là. J’étais juste moi, avec mes défauts et mes failles, et ça m’allait bien. Demain, je dois à nouveau assister à un évènement public autour de mon livre, je vais devoir faire une lecture, et même si je suis extrêmement stressée, j’ai compris que n’avais plus besoin de donner le change, d’être parfaite ou de m’excuser d’être là. Je serai juste présente à cet endroit. Et c’est déjà pas mal.
Je ne dis pas que ce n’est pas important d’avoir confiance en soi. Parce que ça peut être réellement un problème qui nous limite et qui nous fait du mal. Mais je ne suis plus autant persuadée de son pouvoir limitant. Et surtout, surtout, je suis convaincue qu’atteindre un niveau total et permanent de confiance en soi est un mirage. Il ne s’agit pas de ne plus jamais avoir peur. De ne jamais plus être angoissée. De se sentir brusquement capable et brillante tout le temps. Bien sûr que non. En me délestant de l’injonction à avoir confiance, j’ai pour la première fois ressenti une sorte d’apaisement, et à partir de là, j’ai entrevu des petites flammèches, au fond du ventre, de ce qui pourrait bien être in fine de la confiance. Ce n’était pas grand-chose, je ne suais pas l’assurance par tous les pores. C’était juste ce petit feu de joie qui a flambé à un moment donné avant de s’éteindre le lendemain. Et c’est peut-être ça, la vérité : la confiance en soi ne serait pas un but à atteindre, mais ces petites flammes qui dansent au fond de soi, et sur lesquelles il faut apprendre à souffler. Et parfois, la flammèche deviendra une longue et belle flamme, le temps d’une journée, d’une heure, de quelques secondes. Et elle retombera. Je crois que c’est ce que j’ai envie de retenir : on ne peut pas avoir confiance en soi partout, tout le temps : c’est normal de se sentir parfois nulle, incapable, pas assez. C’est peut-être aussi ce sentiment qui pourrait nous aider à repartir, à nous remettre au travail, à souffler sur nos flammes puisque nous saurons, désormais, qu’elles existent avec nous.
Si j’ai décidé de ne plus chercher à travailler ma confiance en moi, et de fuir tout ce(ux) qui promettent de gagner en confiance, je me suis promis en revanche d’essayer d’être plus douce avec moi-même. Pour entretenir mes petites flammèches de confiance, qui sont souvent si petites que je les vois même pas. Ce n’est sûrement pas miraculeux, en fait je n’ai aucune solution, mais c’est peut-être un début.
Je ne sais pas encore exactement ce que ça veut dire, d’être sincèrement douce avec soi-même, mais j’essaye, car je suis persuadée que la douceur a ce pouvoir de transformation dont nous avons toustes besoin au quotidien.
Ainsi, j’ai envie de terminer cette lettre sur les mots de la philosophe Anne Dufourmantelle, dont le livre Puissance de la douceur a été cette année une lecture fondamentale :
La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres. (…)
La douceur est l'un des noms de cette réconciliation avec ce qui a été refoulé, exilé dans le passé et ainsi "repris" avec mansuétude et le courage qu'il faut pour s'avouer qu'on y était, en conscience.
La douceur est ce qui nous permet d'aller au-devant de cet étranger qui s'adresse à nous, en nous. C'est la voix que le poète anime, et recueille.Anne Dufourmantelle, Puissance de la douceur
On n’en finira pas avec le manque de confiance, pour preuve, en me relisant j’ai réalisé que j’avais mis dès la première phrase de ce texte des guillemets au mot autrice.
On n’en finira pas avec nos peurs, pour preuve, ce matin, j’ai déjà peur d’appuyer sur le bouton “envoyer” de cette infolettre.
Alors pour finir, je ne peux que vous souhaiter de vous sentir assez, d’être simplement là où vous devez être et de soigner avec amour les petites flammes qui virevoltent en vous.
Émilie
Bonne lecture ce soir 💚 dommage de ne pas t'avoir croisée au Poetik. Moi j'ai adopté la tactique "va là où ton cœur a envie d'aller "! Et oui, y aller avec sa timidité, ses peurs... son humanité quoi ! est tout à fait acceptable voire recommandé. Pour moi la confiance, où en tout cas l'apparence de la confiance ne vient qu'avec la pratique. C'est à force de faire qu'on prend confiance, c'est pas inné. A bientôt 😘
Merci Émilie pour ce billet qui est très juste, très sensible et qui résonne fort.